celle dont on ne doit pas prononcer le nom
— un nom ne définit pas qui on devrait être, et encore moins qui on est. Rencontre avec Private In Public, la personne qui se définit par qui elle est plutôt que par qui on lui dit d’être.
22 février 2021
Décrivez-vous en trois mots.
Exigeante, fermée et fabuleuse.
Pouvez-vous définir votre personnage ?
Je commencerais par dire que mon personnage est bêtement une expression de tout ce que j'ai refoulé pendant mon enfance et adolescence, à savoir cette part de féminité que ma famille n'a pas cherché à assumer et que j'ai cultivée seul dans mon coin. Pour autant que je me souvienne, j'ai toujours été fasciné par cet archétype de la femme d'action en combinaison en latex qui fait des sauts en grand écart d'un immeuble à l’autre. J'ai regardé Cat's Eye comme beaucoup de gens de ma génération et ça m'a parlé, visuellement et spirituellement. Mon personnage est resté sur ces bases de l'héroïne cartoonesque aux formes et tenues insensées qui frôlent grossièrement le fétichisme, affrontant ses obstacles sans crainte. Par la suite, c'est le rétrofuturisme qui a commencé à s'immiscer dans mon répertoire visuel et c'est précisément mon obsession actuelle, étant fasciné par le passé mais aussi par notre vision limitée du futur.
Quel a été votre parcours ?
La photographie fait partie de ma vie depuis mon adolescence normande. Je n'ai jamais vraiment arrêté de faire de l'autoportrait depuis mes 13, peut-être 14 ans. Il y a quelque chose de très libérateur dans le fait de travailler sur une vision de soi qui n'est qu'une fiction, surtout pour un introverti-extraverti. Je n'ai jamais été vraiment doué pour faire face à la réalité de la vie et c'est aussi le moteur principal de cette échappatoire. Je suis en recherche constante de fantaisie. Je n'ai pas fait d'école de photo, j'ai tout appris moi-même, de la prise de vue à la retouche, en passant (souvent) par le photomontage. Le transformisme (drag) est arrivé dans ma vie bien plus tard, au milieu des années 2010. J'ai mis du temps à me lancer pour des questions de moyens (il était hors de question d'en faire sans avoir tout le matériel de base) mais aussi de savoir-faire. Le drag demande beaucoup de rigueur pour avoir un résultat satisfaisant et je suis constamment en train de le faire évoluer, comme tout le monde. Moi aussi, ça me fait serrer des dents de voir un portrait drag de moi qui date d'il y a six mois, tout comme ce sera le cas dans six mois avec mes portraits actuels.
Pourquoi apparaître en homme et en drag sur votre profil Instagram ?
Honnêtement ? Je crois que l'idée de cette série m'est venue au début du confinement, je n'avais que peu de motivation comme beaucoup et j'ai cherché quelque chose d’amusant à réaliser. J'avais juste envie de m'éclater sur Photoshop tout en faisant quelque chose qui suit directement ce que le drag implique : le genre est une illusion.
Pourquoi votre alter ego n’a-t-elle pas de nom ?
C'est une question que je me pose aussi ! D'un côté, j'aime me donner un nom fictif pour une série unique de photos ou une tenue en particulier, j'aime le fait d'avoir cette liberté d'interpréter n'importe qui sans avoir à m'obliger de rester dans une case que je me suis imposée. Être anonyme a aussi ses avantages, comme la probabilité d'être pris pour quelqu'un de mystérieux et donc intéressant. En réalité, je suis en train de chercher un nom définitif, c'est juste difficile de me fixer une seule chose car je change constamment mes envies.
Si vous pouviez remonter le temps…
Je suis très tiraillé par cette question. Sans hésitation, je dirais la transition entre les années 1960 et 1970, une période qui semblait être absolument festive et libérée… excepté pour le milieu queer. Ou bien revenir à l'âge d'or de la Terre, bien avant que nous nous développions une « intelligence » (à prendre avec des pincettes).
Si vous étiez un alcool, lequel seriez-vous ?
De l'eau de vie. Très désagréable mais qui fait bien le job.
production PRIVATE IN PUBLIC (@private_in_public)
interview TANIA MICHALIK
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